Effets des cannabinoïdes sur le système cardio-vasculaire
Pourquoi en fumant du cannabis les battements cardiaques augmentent ? Pourquoi les yeux deviennent rouges ? Quels sont les effets du cannabis sur le système cardiovasculaire ? Fumer est-il dangereux pour le cœur ?
En répondant à ces questions, les scientifiques ont mis en évidence une multitude d’actions que les phytocannabinoïdes, substances contenues dans le cannabis, exercent au niveau du cœur et des vaisseaux sanguins. La découverte du système endocannabinoïde au niveau cardiaque ouvre des perspectives dans le développement de nouveaux médicaments, mais met aussi en garde contre un usage « récréationnel » du cannabis chez des personnes avec des troubles cardiaques.
Yeux rouges, cœur qui bat très vite, forts vertiges en étant debout… ça y est, la fumée de cannabis est en train d’agir sur le système cardiovasculaire. Il est admis par la littérature scientifique que la consommation de cannabis a des effets immédiats au niveau de la fréquence cardiaque et de la pression sanguine des artères. C’est le THC, composant psychoactif du cannabis, qui est responsable en bonne partie de ces conséquences (1).
Même si les sensations peuvent varier d’une personne à l’autre, il est assez commun que la fréquence cardiaque augmente d’une façon proportionnelle à la dose du cannabis absorbée. Le cœur peut battre même deux fois plus vite que la normale en passant en quelque dizaine de minutes de 50-70 à 100-140 pulsations cardiaques par minute (1).
D’habitude, il se produit aussi une augmentation de la pression artérielle lorsque l’on se trouve en position couchée, et une chute de la pression artérielle liée à la posture debout, ce qui peut causer une perte de connaissance (1).
Une étude des années nonante a examiné les réactions au cannabis de dix hommes. Six d’entre eux, une fois fumé et en position debout, se sont plaint de vertiges importants. Ces six personnes ont eu une baisse de la pression artérielle ainsi qu’une diminution importante de la circulation du sang au niveau cérébral (2).
L’hypotension et la diminution de la circulation artérielle cérébrale pourraient être à l’origine de certaines ischémies
D’après les auteurs de cette étude, il est possible que les ischémies cérébrales qui surviennent pendant la posture debout après avoir fumé du cannabis, puissent être causées par cette hypotension et par la dérégulation de la circulation sanguine au niveau cérébral (2).
Même si ces événements sont assez rares, les témoignages de personnes ayant eu des accidents vasculaires cérébraux en liaison temporelle avec le cannabis, suggèrent que la consommation de cannabis, surtout si associée à d’autres drogues, constitue un facteur de risque pour ce genre de pathologies (3,4).
Fumer du cannabis est déconseillé aux personnes souffrant de troubles cardiaques
D’ailleurs, les utilisateurs de cannabis qui ont des problèmes cardiaques, des troubles vasculaires ou qui souffrent d’hypertension, en fumant peuvent voir leurs symptômes s’aggraver et ressentir ainsi des arythmies cardiaques, des douleurs à la poitrine et des infarctus du myocarde. Ceci dit, le THC peut aussi avoir un effet analgésique ce qui peut masquer dangereusement la sensation de douleur (5).
De plus, la fumée de cannabis, comme d’ailleurs celle du tabac, produit une quantité importante de monoxyde de carbone. Ce composé va dans le sang et se lie avec l’hémoglobine, la protéine responsable d’amener l’oxygène aux différents organes. Ainsi, lorsque le monoxyde de carbone est inhalé, la distribution d'oxygène dans le corps est compromise. Quand le cœur reçoit moins d’oxygène il commence à travailler plus pour compenser. Le cœur se retrouve ainsi doublement sollicité, par le manque d’oxygène et par l’action du THC. Ce dernier semble agir au niveau du système nerveux sympathique qui est responsable du contrôle d'un grand nombre d'activités inconscientes de l'organisme, telles que le rythme cardiaque ou la contraction des muscles lisses (1,5).
Cependant, il est assez improbable que des jeunes personnes en bonne santé qui fument occasionnellement du cannabis développent des problèmes cardiaques. D’autant plus, que d’après les statistiques, beaucoup d’entre eux arrêtent de fumer au alentour de vingt ans. Même les fumeurs réguliers depuis plus de quarante ans augmentent relativement peu le risque d’infarctus, d’environ 1,5-3%. D’après les experts, le cannabis constitue un danger surtout pour les personnes avec des problèmes cardiovasculaires au préalable (5).
Certains cannabinoïdes, comme le cannabidiol, exercent un effet bénéfique sur le système cardiovasculaire
Pourtant, plusieurs études montrent que si administrés à des doses contrôlées, les cannabinoïdes peuvent avoir des effets positifs sur la résolution des problèmes cardiovasculaires, comme par exemple, l’hypertension, la sclérose des artères, ou les dégâts cellulaires à la suite d’une attaque cérébrale ou d’une ischémie. S’agit-il d’un paradoxe (6) ?
Probablement pas. Plusieurs explications existent déjà. D’un côté, les effets délétères du cannabis sont imputables aussi, au moins en partie, aux nombreuses particules dangereuses pour la santé, dont le monoxyde de carbone, dégagées par la fumée (6).
D’un autre côté, le cannabis contient aussi d’autres substances comme le cannabidiol, le plus important des composés non psychoactifs. Le THC et le cannabidiol exercent souvent des effets opposés, ce dernier étant connu pour contrebalancer les effets négatifs du THC. Au niveau du système cardiaque, par exemple, le cannabidiol peut empêcher l’augmentation de la fréquence cardiaque due au THC. Les effets du cannabis peuvent donc varier selon les espèces utilisées, suivant la teneur plus ou moins importante en THC et cannabidiol (5,7,8).
Mais comment THC et cannabidiol agissent-ils sur le système cardiovasculaire ? On sait aujourd’hui que si les phytocannabinoïdes, les constituants du cannabis, ont tant d’effets sur les différents organes de notre corps c’est dû au fait qu’ils peuvent « communiquer » de l’intérieur avec lui (1,9).
La connaissance du système endocannabinoïde permet de mieux comprendre les effets des cannabinoïdes au niveau cardiovasculaire et ouvre des perspectives quant au développement de nouvelles thérapies
Les cannabinoïdes, phytocannabinoïdes et endocannabinoïdes, molécules analogues mais fabriquées au besoin par notre corps, modulent l’activité des récepteurs au cannabis, appelés CB1 et CB2, qui comme des antennes spécialisées captent et transmettent aux cellules les signaux correspondants (1,9).
En plus des endocannabinoïdes (l’anandamide et le 2-AG) et des récepteurs CB1 et CB2, bien d’autres molécules font partie de ce qu’on appelle le système endocannabinoïde. On peut citer à titre d’exemple les enzymes, des protéines qui permettent le bon déroulement des réactions chimiques, et les canaux ioniques, des sortes de tunnels placés sur les cellules et qui laissent rentrer et sortir d’une manière contrôlée des ions comme le calcium ou potassium. Certaines recherches récentes suggèrent que des canaux appelés TRP jouent un rôle de médiateur dans la dilatation des vaisseaux sanguins provoquée par les phytocannabinoïdes et les endocannabinoïdes (9).
Des expériences sur les souris ont montré que ces canaux, plus que l’activation des récepteurs CB1 et CB2, sont responsables de la propriété anti-oxydante du cannabidiol. Cette action permet de contrebalancer, entre autre, les effets délétères des ischémies, des infarctus du myocarde, et des complications cardiaques dues au diabète (8,9).
Les récepteurs CB1 et CB2, quant à eux jouent des rôles assez différents et parfois même opposés dans le système cardiovasculaire. Les récepteurs CB1 interviennent dans le contrôle de l’hypotension et pourraient être visés dans le traitement de l’hypertension. D’autre part, l’activation des récepteurs CB2 résulte fondamentale dans la défense contre les attaques vasculaires, les ischémies, l’artériosclérose (9).
D’après des nombreux chercheurs, il est clair que la compréhension du système cannabinoïde est un domaine de recherche aux applications thérapeutiques multiples et variées. Une utilisation ciblée du cannabidiol ainsi que le développement de cannabinoïdes synthétiques, capables de moduler au besoin les récepteurs CB1 et CB2 et les autres molécules du système endocannabinoïde, ouvrira probablement la porte à des nouveaux traitements pour les troubles du système cardiovasculaire (8,10).
Auteur : Lia Rosso
Références
- Cardiovascular consequences of marijuana use. Sidney S. J Clin Pharmacol. 2002. 42:64S-70S. Review.
- Middle cerebral artery velocity during upright posture after marijuana smoking. Mathew RJ, Wilson WH, Humphreys D, Lowe JV, Wiethe KE. Acta Psychiatr Scand. 1992. 86:173-8.
- Stroke associated with marijuana abuse. White D, Martin D, Geller T, Pittman T. Pediatr Neurosurg. 2000. 32:92-4.
- Recurrent stroke associated with cannabis use. Mateo I, Pinedo A, Gomez-Beldarrain M, Basterretxea J M, Garcia-Monco J C. J Neurol Neurosurg Psychiatry. 2005.76:435–437.
- The health and psychological effects of cannabis use. Hall W, Degenhardt L, Lynskey M. National Drug and Alcohol Research Centre University of New South Wales. 2001. Monograph Series No. 44.
- Cannabinoids and atherosclerotic coronary heart disease. Singla S, Sachdeva R, Mehta JL. Clin Cardiol. 2012. 35:329-35. Epub 2012 Jan 25. Review.
- Effects and interactions of natural cannabinoids on the isolated heart. Nahas G, Trouve R. Proc Soc Exp Biol Med. 1985. 180:312-6.
- Cannabidiol attenuates cardiac dysfunction, oxidative stress, fibrosis, and inflammatory and cell death signaling pathways in diabetic cardiomyopathy. Rajesh M, Mukhopadhyay P, Bátkai S, Patel V, Saito K, Matsumoto S, Kashiwaya Y, Horváth B, Mukhopadhyay B, Becker L, Haskó G, Liaudet L, Wink DA, Veves A, Mechoulam R, Pacher P. J Am Coll Cardiol. 2010. 14:2115-25.
- At the heart of the matter: the endocannabinoid system in cardiovascular function and dysfunction. Montecucco F, Di Marzo V. Trends Pharmacol Sci. 2012. 33:331-40. Epub 2012 Apr 13.
- Endocannabinoid system in cardiovascular disorders - new pharmacotherapeutic opportunities. Cunha P, Romão AM, Mascarenhas-Melo F, Teixeira HM, Reis F. J Pharm Bioallied Sci. 2011. 3:350-60.