Peut-on être dépendant au cannabis?
Il est courant de distinguer dépendance physique et psychique. En général, on considère la dépendance physique au THC comme plutôt mineure et la dépendance psychologique (émotionnelle) comme plus difficile à surmonter.
Néanmoins, 5-10% des consommateurs réguliers de cannabis développeraient une dépendance physique et la gravité de celle-ci dépendrait de l’importance de la consommation (Renaud 2004).
En résumé, on parle de dépendance au moment où, de façon durable et quotidienne, une personne n’arrive plus à se passer de consommer une substance alors que l’usage du produit a des conséquences néfastes sur sa vie ou crée une réelle souffrance.
Caractéristiques d'une dépendance (Goodman, 1990):
- Perte de maîtrise par rapport au comportement de consommer (notion de craving = impulsion irrésistible à consommer).
- Poursuite des consommations malgré les méfaits sur le consommateur et son entourage.
Les critères incluent également les notions de tolérance (s’habituer à la substance et avoir besoin d’en prendre plus pour obtenir le même effet) et les symptômes de sevrage (symptômes liés à l'arrêt de la consommation).
Symptômes du sevrage
Qui dit dépendance à une substance psychotrope dit nécessité de prise régulière de la drogue : à l’arrêt des symptômes dits de sevrage apparaissent. Dans la liste ci-dessous, deux symptômes apparaissent généralement chez plus de la moitié des fumeurs tentant d’arrêter:
|
La plupart des symptômes débute 24 h à 48h après l’arrêt de consommation, atteignent leur maximum d’intensité entre le quatrième et le sixième jour et durent en général entre une et trois semaines, mais ils peuvent aller au-delà dans le cas de très forte consommation [7]. Ces symptômes sont pour beaucoup des entraves au sevrage, de potentielles causes de rechute.
L’intensité de ces symptômes est liée notamment aux habitudes de consommation et aux quantités utilisées. L’arrêt du cannabis peut être difficile à surmonter et peut laisser réapparaître un « mal-être » ou des symptômes psychiques que l’usage de la drogue visait à apaiser. Décider d’arrêter est bien plus qu’une question de volonté, et peut nécessiter une aide extérieur.
Pour en savoir plus...
Selon le rapport de l’INSERM (2001), 5 à 10% des consommateurs réguliers sont dépendants. En fait, tout dépend de la définition de la dépendance. Nous aborderons cette question sous deux angles. Le premier se réfère aux théories de l’apprentissage (le conditionnement). Le second aux critères diagnostiques officiels du manuel « DSM IV ».
1. Addiction et conditionnement
Globalement, une personne qui consomme une substance recherche deux types de récompense : un effet positif direct, par exemple du plaisir ou une diminution d’un inconfort psychologique ou interne (Goodman, 1990). L’addiction s’instaure quand la personne perd la maîtrise de sa consommation malgré des conséquences néfastes sur sa vie ou une souffrance associée.
De façon plus détaillée, le maintien de la consommation peut-être expliqué, par la théorie du conditionnement (ce qui nous conditionne à répéter un comportement). Par exemple, si une personne produit un comportement qui a des conséquences positives (une récompense), elle aura naturellement tendance à le reproduire. Or, fumer du cannabis est associé chez certaines personnes à un sentiment de plaisir ou à une diminution d’un inconfort (effet « relaxant », illustré par une pensée de type « ah, ça me détend »). L’usage aura donc de fortes chances de se répéter.
Si l’initiation au cannais se solde par une expérience positive (par exemple, sentiment de bien-être), alors une personne sera tentée de reproduire l’expérience et donc de consommer à nouveau (c'est le conditionnement opérant de Skinner). De plus, lorsqu’une personne se retrouve dans un contexte similaire (par exemple, repasser dans un lieu où elle achetait du cannabis), le souvenir de l’expérience passée lui reviendra automatiquement et cela augmentera le risque d’apparition d’une envie de consommer, voire favorisera la consommation (conditionnement au sens de Pavlov).
L’addiction correspond au moment où l’usage répété devient une nécessité à un tel point qu’il occupe un espace important dans les pensées et, de façon générale, dans la vie d’une personne. En ce sens, l’addiction correspond sans doute à l’expression « être accro ». Ce phénomène pourrait parfois être favorisé par la survenue d’événements ou de successions d’événements difficiles. Ceci pourrait favoriser l’instauration de certains conditionnements, par le soulagement ressenti, par exemple.
2. Les critères médicaux pour diagnostiquer une dépendance
Officiellement, pour définir si une personne est dépendante à une substance, les médecins se réfèrent le plus souvent à une classification des maladies; les 2 classifications principalement utilisées sont le DSM IV (Diagnostic and Statistic Manual - Revision 4) et la CIM10 (Classification Internationale des Maladies, 10ème édition).
Selon le DSMIV, le premier critère essentiel pour poser le diagnostic de dépendance est, en résumé le suivant:
- « Utilisation inadaptée d’une substance conduisant à une altération du fonctionnement ou à une souffrance cliniquement significative, durant une période continue de 12 mois au moins. »
Autrement dit, il doit y avoir une perturbation dans le fonctionnement d’une personne (par exemple, difficultés sociales, professionnelles ou scolaires liées à l’usage de cannabis) ou un vécu de souffrance suffisamment important associé à la consommation sur une durée d’une année minimum.
Ce premier critère ne suffit pas pour poser le diagnostic, la consommation de dépendance. Pour cela, selon la classification du DSMIV, trois critères supplémentaires parmi les 7 suivants doivent être présents :
- Développer une tolérance au produit, ou plus simplement s’habituer, c’est-à-dire, avoir progressivement besoin de plus de substance pour obtenir l’effet désiré.
- Subir des symptômes désagréables lorsqu’il y a sevrage de la substance (arrêt ou indisponibilité de celle-ci).
Le DSMIV ne mentionne aucun symptôme de sevrage spécifique à la dépendance au cannabis. Toutefois, dans la clinique, certains patients décrivent de l’irritabilité, de la nervosité ou de l’anxiété, des troubles du sommeil et des changements de l’appétit. Certaines personnes évoquent également une déprime ou un certain mal être, mais ces symptômes sont parfois préexistants à la consommation dans le sens où la consommation servait à les gérer.
- La substance est consommée plus souvent, plus longtemps ou en quantités plus importantes que la personne ne le souhaiterait.
- Une personne souhaite mais ne parvient pas à diminuer ou contrôler sa consommation.
- Beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour obtenir la substance (p. ex.: recherche de fournisseur), à utiliser le produit (p. ex., fumer sans discontinuer) ou à récupérer de ses effets.
- Des activités sociales ou professionnelles importantes sont abandonnées ou réduites à cause de l’utilisation de la substance. Par exemple, aller nettement moins souvent voir des personnes de son entourage ou faire nettement moins de sport pour se consacrer à l’utilisation du cannabis.
- Une personne se rend compte que sa consommation a causé ou aggravé un problème persistant (social, psychologique ou physique) mais la poursuit malgré tout (p. ex., poursuivre la consommation de cannabis bien que la personne admette une démotivation ou une déprime liée à celle-ci).
Références
- American Psychiatric Association (1994) Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (4th edn) (DSMIV)
- Denson TF, Earleywine M., 2006. Decreased depression in marijuana users.Addict Behav. Apr;31(4):738-42. Epub 2005 Jun 20.
- Inserm, 2001. Synthèse du rapport « Cannabis Quels effets sur le comportement et la santé ? ». Paris.
- Goodman A. (1990). Addiction: definition and implications. British Journal of Addiction. Nov;85(11):1403-8.
- Johns, A. (2001). Psychiatric effects of cannabis. British Jounal of Psychiatry. 178. 116-122.
- Miller NS, Gold MS., 1989. The diagnosis of marijuana (cannabis) dependence. J Subst Abuse Treat. ;6(3):183-92. PMID: 2677398
- Morgenstern, j. et al. (1994). The generalizability of the dependence syndrome across substances: an examination of some properties of the proposed DSM-IV dependence criteria. Addiction, 89, 1105-1113.
- Reynaud, M. et al., 2004. Cannabis et santé, vulnérabilité, dépistage, évaluation et prise en charge. Médecine-Sciences, Flammarion : Paris.
- Swift W, Hall W, Didcott P, Reilly D. 1998. Patterns and correlates of cannabis dependence among long-term users in an Australian rural area. Addiction. Aug;93(8):1149-60. PMID: 9813896
- Wiesbeck GA, Schuckit MA, Kalmijn JA, Tipp JE, Bucholz KK, Smith TL., 1996. An evaluation of the history of a marijuana withdrawal syndrome in a large population. Addiction. Oct;91(10):1469-78. PMID: 8917915